1. Comment analysez-vous la candidature de Bouteflika pour
un quatrième mandat?
En vérité, personne ne comprend pourquoi les militaires
ont laissé le président, gravement malade, se représenter alors qu’il n’a pas
les capacités physiques et mentales pour diriger l’Etat. En tout cas, la
population vit cette candidature comme une insulte et se sent blessée dans son
amour-propre nationaliste en voyant l’Algérie être la risée des médias
internationaux.
2. Pensez-vous que Bouteflika sera réélu?
Il est possible que la hiérarchie militaire lui ait
demandé de faire le lièvre pour Ali Benflis, mais ceci n’est qu’une hypothèse.
Ce que nous savons pour sûr, c’est que les élections présidentielles sont
toutes truquées. Le président a toujours été choisi par l’armée, sous le
couvert d’une élection pour la forme. Selon la presse, les représentants de
Bouteflika ont du mal à animer des meetings à travers le territoire national.
Ils sont accueillis par des jets de pierres et des insultes. Par contre, les
meetings de Benflis attirent du monde. Si la hiérarchie militaire ordonne au
ministère de l’intérieur de proclamer la victoire de Bouteflika, il y aura des
émeutes dans de nombreuses régions d’Algérie.
3. Pourquoi l’armée tient-elle à Bouteflika?
La hiérarchie militaire ne tient pas à Bouteflika; elle
est cependant divisée et les amis de Bouteflika profitent de cette situation de
status quo. Il y a peut-être un plan pour nommer un vice-président qui
succèderait à Bouteflika après sa mort. Ce scénario donnerait du temps aux généraux
pour s’entendre sur le nom du vice-président.
4. Pensez-vous qu’il y aura un soulèvement comme en Libye ou
en Syrie après les élections?
Je ne le crois pas parce que les Algériens dans leur
majorité ne veulent pas la destruction du pays comme c’est le cas en Syrie. Il
n’y a pas d’appel au soulèvement. Il y aura cependant des émeutes à Saida,
Tiaret, Sétif , Batna… Si Bouteflika sort vainqueur du scrutin, le fossé entre
l’Etat et la population sera encore plus profond.
5. Quelle serait la solution pour éviter ce cycle des émeutes
et pour éviter la paralysie des services de l’Etat?
Même si en amont cette élection présidentielle est limitée
à quelques candidats et que toutes les sensibilités politiques ne sont pas
représentées dans la campagne, je crois qu’il serait sage que la hiérarchie
militaire renonce à faire réélire Bouteflika par le bourrage des urnes. Elle
devrait laisser la population élire Benflis qui aura ainsi une légitimité
électorale qui renforcera la crédibilité de l’Etat. L’armée devrait même le
pousser à former un gouvernement d’union nationale élargie à des personnalités
de l’opposition pour une période de transition au cours de laquelle un projet
de constitution sera proposé à référendum à la population.
6. Pensez-vous que la divergence entre l’Etat-Major et le
DRS sera résorbée?
La divergence entre l’Etat-Major et le DRS n’est pas
seulement organique, elle est politique. Aujourd’hui, il y a près de 300
généraux et ils ne supportent pas que 10 généraux du DRS imposent à l’ANP et à
l’Etat leurs méthodes. La structure de la hiérarchie militaire a changé et les
vieux généraux doivent tenir compte de ces changements.
Si la hiérarchie militaire se retire graduellement du
champ politique pour faciliter la transition vers l’Etat de droit, le DRS se
repliera sur ses activités premières, l’espionnage et le contre-espionnage. Les
membres du DRS sont des soldats et ils n’ont pas d’autre perspective que
d’obéir à leur instance hiérarchique qui est l’Etat-Major. S’ils ne le font,
l’unité de l’armée serait en danger et ce serait l’anarchie.
7. Un dernier mot?
Les vieux généraux comme Tewfik et Gaid Salah devraient
prendre leur retraite et devraient comprendre que l’Algérie a changé et que même
l’armée a changé avec l’arrivée de jeunes officiers qui ont une formation
universitaire. L’évolution est une loi de la vie biologique et sociale.
L’Algérie ne peut pas être dirigée par une police politique dépendant du ministère
de la Défense à l’heure d’internet et de facebook.
Par ailleurs, l’ANP devrait se débarrasser de ce sigle
qui l’assimile à un parti politique. Elle devrait s’appeler l’Armée tout court,
institution qui appartient à toute la nation et non à un courant politique ou à
un régime. Dans un Etat droit, les régimes changent politiquement à l’issue
d’élections, mais pas l’armée. Le règlement de mise à la retraite des officiers
doit être appliqué. Un colonel doit partir à l’âge de 45 ans et un général à
l’âge de 62 ans.
Interview parue
dans Algeria-news (en arabe et en français) du 8 Avril 2014
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