jeudi 10 avril 2014

"La victoire de Bouteflika creusera le fossé entre l'Etat et la population"



1.     Comment analysez-vous la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat?
En vérité, personne ne comprend pourquoi les militaires ont laissé le président, gravement malade, se représenter alors qu’il n’a pas les capacités physiques et mentales pour diriger l’Etat. En tout cas, la population vit cette candidature comme une insulte et se sent blessée dans son amour-propre nationaliste en voyant l’Algérie être la risée des médias internationaux.

2.     Pensez-vous que Bouteflika sera réélu?
Il est possible que la hiérarchie militaire lui ait demandé de faire le lièvre pour Ali Benflis, mais ceci n’est qu’une hypothèse. Ce que nous savons pour sûr, c’est que les élections présidentielles sont toutes truquées. Le président a toujours été choisi par l’armée, sous le couvert d’une élection pour la forme. Selon la presse, les représentants de Bouteflika ont du mal à animer des meetings à travers le territoire national. Ils sont accueillis par des jets de pierres et des insultes. Par contre, les meetings de Benflis attirent du monde. Si la hiérarchie militaire ordonne au ministère de l’intérieur de proclamer la victoire de Bouteflika, il y aura des émeutes dans de nombreuses régions d’Algérie.

3.     Pourquoi l’armée tient-elle à Bouteflika?
La hiérarchie militaire ne tient pas à Bouteflika; elle est cependant divisée et les amis de Bouteflika profitent de cette situation de status quo. Il y a peut-être un plan pour nommer un vice-président qui succèderait à Bouteflika après sa mort. Ce scénario donnerait du temps aux généraux pour s’entendre sur le nom du vice-président.

4.     Pensez-vous qu’il y aura un soulèvement comme en Libye ou en Syrie après les élections?
Je ne le crois pas parce que les Algériens dans leur majorité ne veulent pas la destruction du pays comme c’est le cas en Syrie. Il n’y a pas d’appel au soulèvement. Il y aura cependant des émeutes à Saida, Tiaret, Sétif , Batna… Si Bouteflika sort vainqueur du scrutin, le fossé entre l’Etat et la population sera encore plus profond.

5.     Quelle serait la solution pour éviter ce cycle des émeutes et pour éviter la paralysie des services de l’Etat?
Même si en amont cette élection présidentielle est limitée à quelques candidats et que toutes les sensibilités politiques ne sont pas représentées dans la campagne, je crois qu’il serait sage que la hiérarchie militaire renonce à faire réélire Bouteflika par le bourrage des urnes. Elle devrait laisser la population élire Benflis qui aura ainsi une légitimité électorale qui renforcera la crédibilité de l’Etat. L’armée devrait même le pousser à former un gouvernement d’union nationale élargie à des personnalités de l’opposition pour une période de transition au cours de laquelle un projet de constitution sera proposé à référendum à la population.

6.     Pensez-vous que la divergence entre l’Etat-Major et le DRS sera résorbée?
La divergence entre l’Etat-Major et le DRS n’est pas seulement organique, elle est politique. Aujourd’hui, il y a près de 300 généraux et ils ne supportent pas que 10 généraux du DRS imposent à l’ANP et à l’Etat leurs méthodes. La structure de la hiérarchie militaire a changé et les vieux généraux doivent tenir compte de ces changements.
Si la hiérarchie militaire se retire graduellement du champ politique pour faciliter la transition vers l’Etat de droit, le DRS se repliera sur ses activités premières, l’espionnage et le contre-espionnage. Les membres du DRS sont des soldats et ils n’ont pas d’autre perspective que d’obéir à leur instance hiérarchique qui est l’Etat-Major. S’ils ne le font, l’unité de l’armée serait en danger et ce serait l’anarchie.

7.     Un dernier mot?
Les vieux généraux comme Tewfik et Gaid Salah devraient prendre leur retraite et devraient comprendre que l’Algérie a changé et que même l’armée a changé avec l’arrivée de jeunes officiers qui ont une formation universitaire. L’évolution est une loi de la vie biologique et sociale. L’Algérie ne peut pas être dirigée par une police politique dépendant du ministère de la Défense à l’heure d’internet et de facebook.
Par ailleurs, l’ANP devrait se débarrasser de ce sigle qui l’assimile à un parti politique. Elle devrait s’appeler l’Armée tout court, institution qui appartient à toute la nation et non à un courant politique ou à un régime. Dans un Etat droit, les régimes changent politiquement à l’issue d’élections, mais pas l’armée. Le règlement de mise à la retraite des officiers doit être appliqué. Un colonel doit partir à l’âge de 45 ans et un général à l’âge de 62 ans.

 Interview parue dans Algeria-news (en arabe et en français) du 8 Avril 2014

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire